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40 jours en avril
27 octobre 2017

C'EST GRAVE, DOCTEUR ? (2)

Un entourage pour le moins secoué

 

Du côté de mes proches, amis, famille, c’était un branle-bas de tous les instants. Je sentais bien que tout le monde se faisait du mouron – et c’est peu dire. J’essayais de les réconforter, de dédramatiser mais je sentais que mes efforts étaient vains. Jamais je n’évoquais la gravité de mon cas. À peine si je notais le côté sérieux de l’affaire. Dès cette époque, j’ai pu opérer un tri intéressant : je me découvrais de nouveaux amis tout en enregistrant un silence complet de la part d’autres soi-disant plus proches. Cela a eu le mérite de clarifier la situation. Une bonne chose de faite… Parallèlement à cet afflux, bien souvent téléphonique, de témoignages de sympathie, j’ai dû peu à peu me retirer physiquement de la vie en société. Défenses immunitaires largement déficitaires obligent.

Une personne me surprit beaucoup durant cette période : mon médecin. Il me téléphonait très régulièrement. On s’entretenait de mon état général, il me prodiguait ses conseils, quitte à les répéter, me demandant de surveiller toute hausse de température comme le lait sur le feu. « Au moindre rhume, passez me voir immédiatement. En week-end, faites le 15. » Cela avait le mérite d’être clair. Il me proposait même de passer si le besoin se faisait sentir de parler, tout simplement, de la maladie, de ce que je ressentais, de ce qui me perturbait.

Je m’enfonçais doucement dans les profondeurs d’un congé qui allait, je ne m’en doutais pas à ce moment-là, se prolonger déraisonnablement durant cinq longues années. De mon point de vue s’entend. Durant tout ce temps, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, n’ayant eu qu’une ébauche de renseignements par mon médecin. Je n’ai pas cherché plus loin, connaissant les dangers du Web et le risque de lire des âneries dans ses trop célèbres sites « médicaux ».

Par contre, j’ai rapidement accepté cette maladie. Parce que je n’y pouvais rien. Je suis persuadé que cela m’a beaucoup servi par la suite car il ne me restait plus qu’à me battre contre elle, sans jérémiades ni pleurnicheries qui m’auraient immanquablement affaibli.

 

Premiers pas hospitaliers

 

C’est à la mi-avril que je me rendis pour la première fois au septième étage de l’hôpital de Chambéry, dans le service d’hématologie. Sept étages à pied en compagnie de mon épouse, en plusieurs étapes, histoire de retrouver un semblant de souffle. Les minuscules ascenseurs pris d’assaut par les patients ne m’inspiraient pas confiance, je les assimilais à des bouillons de culture. Et pas question de mettre un masque, je ne voulais pas être la cible de regards interrogatifs. Je rencontrai alors le docteur Hacini, une hématologue profondément humaine, une personne d’une simplicité désarmante. J’ai appris par la suite que mon médecin traitant m’avait dirigé vers la meilleure spécialiste, une pointure. La consultation a duré près de trois quarts d’heure. Elle a pris le temps de nous expliquer la maladie, qu’on appelle aussi pré-leucémie. Sur une feuille de papier, elle a schématisé mes cellules-souches, dans la moelle osseuse, qui se différenciaient en globules blancs, rouges et en plaquettes. Elle a tracé d’autres cellules, les blastes, difformes, qui ne produisaient rien. « Seule une greffe de moelle osseuse peut vous sauver. Nous disposons de temps, vous n’êtes qu’au début de l’AREB. Le risque, c’est qu’elle dégénère en leucémie aiguë. À présent, il nous faut trouver un donneur. Avez-vous des frères et sœurs ? »

 

En sortant de son cabinet, nous sommes descendus au premier étage histoire de prendre rendez-vous avec un chirurgien-dentiste de l’hôpital. En effet, tout risque d’infection devait être éradiqué avant la greffe. Le lendemain, suite à un coup de fil, j’ai adressé à mon frère consentant un courrier dans lequel se trouvait une ordonnance pour une recherche de compatibilité. Le jour suivant, je suis revenu à l’hôpital pour y subir une énorme prise de sang, une vingtaine de tubes, destinée à établir mon caryotype, ma carte d’identité sanguine. Un mois plus tard, j’ai appris que mon frère n’était pas compatible et qu’une recherche était lancé pour trouver un donneur en Europe. Début juin, suite aux consultations et une radio dentaires, la décision était prise de m’arracher toutes les dents, par sécurité. Une opération suivie de très près par mon hématologue. Le matin de l’intervention, j’ai reçu ma première transfusion de plaquettes. Fièvre et chute de tension immédiates, puis mon état s’est amélioré. L’anesthésiste, assez remontée, a considéré qu’il était hors de question de me laisser sortir le jour-même. J’ai donc dormi sur place. Le lendemain, après la visite du chirurgien, je suis rentré à la maison, en bonne forme. Pas la moindre complication, aucune infection, pratiquement pas de douleur. Un beau travail, merci le service public ! Au mois d’octobre, je suis sorti du service dentaire avec un bel appareil qui ne m’a pas posé, lui non plus, le moindre problème.

 

Nous voici à Lyon

 

11 juin 2012, nous sommes partis, mon épouse, ma belle-sœur au volant, Clément et moi-même. Destination l’hôpital Sud, à Pierre Bénite, au sud-ouest de Lyon. Première visite du service d’hématologie à la pointe de la greffe de moelle osseuse. Première rencontre avec le docteur Labussière-Wallet, celle qui deviendra ma référente. Après avoir longé un dédale de bâtiments hospitaliers, croisé une chapelle, nous sommes arrivés devant le fameux pavillon Marcel Bérard, tout beau, tout neuf. Cheminement administratif oblige, nous sommes passés par le bureau des entrées afin d’obtenir les fameuses étiquettes, précieux sésames pour les consultations. Au deuxième étage, nous avons signalé notre arrivée au secrétariat. Dans une vaste salle d’attente, une vingtaine de personnes patientaient. Un panneau nous a rassurés : la pièce est commune à plusieurs médecins…

Quand l’hématologue s’est avancée et nous a appelés, j’ai été surpris par sa jeunesse. Je m’attendais à quelqu’un de beaucoup plus âgé alors qu’elle ne devait pas avoir quarante ans. Elle nous a fait entrer dans son bureau sur lequel trônait mon dossier médical. Elle a sorti quelques feuillets. Puis elle est entrée dans le vif du sujet. Après un interrogatoire très ciblé sur mon état de santé, sur ma vie, ma profession, mes habitudes, elle m’a demandé si j’avais travaillé à proximité d’une centrale nucléaire ou au contact de produits dangereux ou radioactifs. L’AREB est une mutation génétique, nous a-t-elle expliqué. Il fallait donc explorer toutes les pistes. Puis elle a longuement dépeint ma maladie et le processus de greffe indispensable. Avec des mots appropriés, des images destinées à expliciter son propos. Tout en délicatesse. Une remarque a résonné longuement dans ma tête : « Êtes-vous bientôt à la retraite ? Vous ne pourrez plus enseigner devant des enfants… » La claque ! Mais je n’ai pas réagi tout de suite, noyé dans un flot d’informations qu’il me faudrait digérer avec plus de recul. Cette digestion-là me prendra plus d’une année, pour que j’accepte l’idée que l’école, c’était terminé. Puis elle a prononcé un adjectif qui, depuis, est resté ancré dans ma mémoire : « Comprenez qu’une greffe, ce n’est pas anodin, cela comporte de réels dangers ! » Anodin. Chaque fois que j’entends ce mot, je ne peux m’empêcher de penser à elle. La consultation a duré une bonne heure et quart. Nous avions plutôt imaginé une entrevue d’un quart d’heure… « À présent, et en attendant que votre maladie s’aggrave, c’est le docteur Hacini qui gèrera tout, à Chambéry. Montrez-vous patient, monsieur Clariond. »

 

Le 29 juillet 2012, un coup de téléphone de Lyon allait m’apporter une magnifique bouffée d’oxygène, bien qu’il ne s’agisse que d’une image, en cette période de disette… « Ici le docteur Labussière-Wallet. J’ai une bonne nouvelle : nous vous avons trouvé un donneur 100% compatible ! » Indicible émotion, grand silence, puis j’ai osé une question. « Alors, la greffe, c’est pour quand ? » Là, l’hématologue a immédiatement calmé mon empressement. « L’important, c’est que nous ayons cette sécurité pour vous. Pour l’instant, vous n’avez pas encore le profil nécessaire pour subir une greffe. Il faudra vous montrer très patient. » Quelques mois plus tard, j’ai appris que j’avais un second donneur compatible, au cas où. Et c’est celui-ci qui me fera don d’un bonus de vie.

 

« Comment te sens-tu ? »

 

Cette question-là, on me l’a posée des dizaines de fois. Et j’y ai chaque fois répondu avec patience. Je comprends très bien l’état d’esprit de mes amis. Mon entourage connaissait les symptômes de la maladie, pour m’avoir sous les yeux quotidiennement – ou régulièrement. Quand quelqu’un est victime d’une maladie grave, on se demande très vite s’il souffre. J’imagine que c’est la première des craintes. Pour l’autre, pour soi aussi, puisqu’on a tendance à se faire une représentation qui se rapporte à nous. « Comment te sens-tu ? » peut s’énoncer différemment : « Comment me sentirais-je si j’étais à ta place ? » Normal, humain. Un tantinet agaçant tout de même…

Une anémie, par définition, provoque une fatigue importante. Dans mon cas, elle s’est installée en arrière-plan et en continu. Et cette fatigue a induit une existence plus lente, peu trépidante, comme un long ralenti. Le manque de globules rouges a provoqué les signes les plus impressionnants : essoufflement et grande pâleur. Parfois, alors que j’étais tranquillement installé dans mon fauteuil, ma respiration se faisait soudain plus rapide, comme si je venais de grimper un escalier en courant. J’avais soudain beaucoup de mal à reprendre mon souffle. Et quand la pâleur s’installait, c’était en premier lieu au niveau de la paume des mains. Des paumes translucides. Très impressionnant, notamment quand cela t’arrive pour la première fois. Par contre, le manque de plaquettes ou de globules blancs ne se ressentait pas. Sournois. Il donnait pourtant lieu à un risque terrible d’hémorragie ou d’infection sérieuse. Je devais surveiller ma température comme le lait qui bout et veiller à ne pas me blesser, sous peine de passer par la case SAMU.

 

En ce temps-là, je prenais une série de médicaments destinés à contrarier mon diabète, rien de bien contraignant, pas de quoi bouleverser la vie de tous les jours. Après une visite chez l’hématologue de Chambéry, j’ai déchanté. Je me suis retrouvé avec une belle ordonnance : une piqûre d’EPO (tu sais, le truc des cyclistes dopés) chaque semaine, un truc à cinq cents euros l’unité, ainsi qu’un sirop – lui aussi hors de prix, le Noxafil, destiné à lutter contre une infection respiratoire assez commune, l’aspergillose. Un médicament délivré uniquement en pharmacie hospitalière, donc pas très pratique à récupérer. Il m’a été supprimé un mois plus tard car il présentait une contre-indication avec le médicament anti-cholestérol que je prenais aussi. Par la suite, un nouveau produit, l’Exjade, a pointé son nez quand j’ai commencé à subir – ou bénéficier – de transfusions sanguines. Histoire de faire baisser le taux de fer qui s’élève alors. Deux cachets à mélanger dans un demi-verre d’eau, chaque soir, qui valaient approximativement quatre-vingts euros… Quel apéro au quotidien ! Je commençais à coûter terriblement cher à la Sécu, ce qui m’a rapidement conduit à culpabiliser de plus belle…

J’étais dans l’obligation de me rendre régulièrement au laboratoire d’analyses pour un bilan sanguin. Toutes les deux semaines. Les infirmières ne se bousculaient pas au portillon pour me piquer tant mes veines se montraient réticentes… Début septembre 2012, j’ai reçu un appel de l’hôpital : les niveaux étaient largement trop bas, je devais donc subir ma première transfusion.

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Commentaires
40 jours en avril
  • Quand la maladie s'installe, une bataille implacable commence. Cinq années après le diagnostic, j'ai décidé de raconter mon combat. J'émets le vœu que ce témoignage aide des patients en attente de greffe de moelle osseuse.
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