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40 jours en avril
4 janvier 2018

40 JOURS EN AVRIL (6)

Une bonne dose d’humour et l’envie de vivre

 

Il m’aura fallu une bonne dose d’humour pour tenir le coup durant ces quarante jours d’enfermement. Je pense que le personnel soignant, d’une certaine manière, a été rassuré par cette attitude résolument optimiste. Reflet d’un trait fondamental de mon caractère. Quand je relis mes notes, je m’aperçois qu’il ne s’agissait pas, la plupart du temps, d’une relation tragique des faits. J’usais de réparties systématiques avec les infirmières, toujours teintées d’humour.

 

Le jour où l’on m’a expliqué l’usage des granocytes, je n’ai pu m’empêcher de faire remarquer à mon interlocutrice qu’il s’agissait là d’un procédé éhonté, scandaleux, et que ma moelle n’avait aucune chance face à un tel traquenard. « Imaginez mes cellules-souches, heureuses de venir se changer les idées dans mon sang… Imaginez leurs pleurs quand les méchants chimio-machins viennent les abattre une par une… » Elle m’a regardé d’un air inquiet puis a éclaté de rire !

 

Face à mon lit, il y avait un petit tableau blanc accroché au mur. Il était installé pour que je puisse y noter tout ce que je voulais. Je m’en suis vite servi comme support pour mes pensées les plus saugrenues. Même le médecin-greffeur, quand il entrait dans la chambre, y jetait un œil pour lire la vanne du jour.

En voici quelques-unes.

 

  • Six semaines entouré de femmes à moelle…
  • Instantané – Je regarde par la fenêtre, je vois un couple arriver, lui porte une valise, elle trottine ; je me dis « les pauvres ! » puis je réalise que j’y suis aussi.
  • Info animation MBE4 : la sortie culturelle de demain est annulée, il n’y a pas de musée à moins de six mètres de la chambre 310…
  • Puis-je obtenir une autorisation de sortie, juste avant Pâques, pour me rendre à Rome ?
  • A l’occasion des fêtes, je vous offre un 9 de Pâques.
  • Eh les vampires, gare, j’ai commandé un pieu en bois ! »

 

Un matin, en sortant de la douche, j’ai eu la surprise de découvrir un message écrit à la hâte par une infirmière : « Costaud, le patient du 310 ! signé : l’équipe soignante »

 

 

A l’assaut des couloirs

 

Très vite après ma sortie d’aplasie, j’ai été autorisé, encouragé à arpenter les longs couloirs du MBE4. Avant chaque évasion, je sonnais l’aide-soignante pour qu’elle me fournisse un sarrau, une charlotte, un masque et des sur-chaussures. L’infirmière passait alors débrancher le six-mètres et je quittais mon petit univers confiné pour parcourir l’immense service du 3ème étage.

 

J’avais décidé de profiter de ces escapades pour me réhabituer à la marche. Je n’avais pas l’impression de tourner en rond, la distance qui me séparait d’un bout à l’autre de ces couloirs en forme de H était assez longue. Tout en promenant, je croisais le personnel soignant et je découvrais leurs visages débarrassés du sempiternel masque. À chaque rencontre, j’avais droit à un beau sourire ou à une parole d’encouragement. « À ce rythme, ironisa une infirmière, vous serez bientôt arrivé à Chambéry ! » J’imagine qu’ils voyaient d’un bon œil cet exercice physique prometteur. Je déambulais ainsi durant deux bonnes heures, faisant quelques pauses dans la salle des familles, équipée de fauteuils particulièrement confortables. J’ai même été autorisé à feuilleter les revues destinées aux visiteurs, à condition de bien me désinfecter les mains par la suite.

 

L’avant-veille de mon départ, c’était un dimanche, j’ai voulu surprendre ma femme et mes enfants. Ils venaient m’apporter deux gros sacs pour ranger mes affaires ainsi que les vêtements et chaussures nécessaires à ma sortie. Ce qu’ils ignoraient alors, c’est que j’avais obtenu l’autorisation de les accueillir dans la salle des familles. Tout en me débranchant, l’infirmière m’a dit que le masque était inutile à présent hors de la chambre… et que j’avais droit aux bisous des miens. Ce fut une surprise mémorable pour eux et un bonheur extrême pour moi ! Au moment où je les appelais alors qu’ils se dirigeaient vers mon chez-moi, je n’ai pu m’empêcher de tomber en larmes, submergé par une indicible émotion.

 

C’est par où, la sortie ?

 

Le mardi 6 mai 2014, je me suis levé aux aurores, bien avant que l’aide-soignante passe. La veille, j’avais préparé mes bagages qui m’attendaient dans le sas, je n’étais plus branché, on m’avait retiré la voie veineuse, l’arbre de Noël était éteint et, pour cette dernière nuit, on m’avait annoncé que je ne serais pas dérangé. J’ai même eu droit à un petit comprimé pour dormir, sans que je le demande. « Histoire de passer une bonne dernière nuit parmi nous… »

 

Pas de douche ce matin-là, juste une toilette complète au gant jetable, aucun ménage dans la chambre, on m’a laissé du temps pour m’habiller tranquillement. Le lendemain de mon départ était organisé le flux : un technicien viendrait récurer et aseptiser tout le système d’aération et la chambre serait désinfectée de fond en comble avant d’accueillir le candidat suivant à la greffe. À 10 h, je me suis rendu dans le bureau de la cadre de santé pour une entrevue empreinte d’une haute dose de solennité. Elle m’a confié mon carnet de greffe, un classeur que je devrais remplir avec soin puis elle a commenté en les relisant avec moi les feuillets plastifiés, les différents protocoles de sortie, d’hygiène, d’alimentation en y joignant ses propres conseils pratiques. « En cas de problème, même le moindre doute, vous me téléphonez. Le week-end, appelez le service. Vous serez toujours notre priorité. »

 

J’ai rejoint ma chambre, j’ai installé mes sacs sur un chariot puis, traversant le service, j’ai salué mes anges-gardiens. Sensation étrange, émotion… À 11 h, je me suis installé en salle des familles, afin d’y attendre le taxi. J’ai vu passer le médecin-greffeur, il s’est assis en face de moi. Nous avons bavardé jusqu’à ce qu’une infirmière passe la tête par la porte. « Votre chauffeur vous attend dans le vestiaire. » Elle m’a alors donné un masque-canard que je devais mettre au moment de sortir à l’air libre : des travaux importants derrière le bâtiment accroissaient le risque d’aspergillose, un minuscule champignon voyageant dans les poussières et qui a la fâcheuse manie de se loger dans nos poumons. Grave infection assurée pour un greffé de fraîche date. Dans le vestiaire, j’ai serré la main du taxi, je me suis débarrassé du sarrau et du reste, j’ai enfilé ma casquette et mon blouson. Lui a pris mes deux gros sacs. Quand j’ai franchi la porte du service, j’ai ressenti un pincement au cœur. Sourde appréhension. Puis nous avons pris l’ascenseur. Je me sentais très fatigué : ça tournait un peu autour de moi, le bruit, les gens. Soudain, je me suis retrouvé dans la voiture.

 

Mes « quarante jours en avril » étaient derrière moi…

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Commentaires
40 jours en avril
  • Quand la maladie s'installe, une bataille implacable commence. Cinq années après le diagnostic, j'ai décidé de raconter mon combat. J'émets le vœu que ce témoignage aide des patients en attente de greffe de moelle osseuse.
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